Les cinématographes saint-quentinois
Après la Première Guerre mondiale, quatre grandes salles se distinguent durant l’entre-deux-guerres : L’Omnia, le Splendid Cinéma installé à demeure dans le Cirque depuis 1907-1908, Le Carillon, nouvel établissement construit en 1920, et Le Casino créé en 1929.
De la quincaillerie au cinéma
Alfred Lefèbvre, quincaillier, à l’angle de la rue de Guise et de la rue de La Fère, actuelle rue du Général-Leclerc, décide au lendemain de la Grande Guerre de ne pas reconstituer la quincaillerie familiale, détruite par les combats. En 1919, il crée avec un ami, quincaillier lui aussi, une entreprise de production de briques, rue de Guise. Les besoins pour la reconstruction de la cité en font sans doute une entreprise prospère dans les années 1920. Mais les besoins en matériaux se font moins pressants à mesure que la reconstruction de Saint-Quentin avance, et finalement Alfred Lefèbvre se lance dans une nouvelle aventure professionnelle à la fin des années 1920, la direction et l’exploitation d’une salle de cinéma.
Une nouvelle salle de cinéma
Alfred Lefèbvre choisit de construire un cinéma dans le faubourg d’Isle, dépourvu de salle de spectacle alors qu’il est le quartier ouvrier le plus important de la cité. Il l’implante sur les terrains des anciens entrepôts de sa quincaillerie, dans le bas de la rue de La Fère.
Il fait appel à un architecte saint-quentinois, Adolphe Grisel (1872-1942). Élève de Laloux à l’école des Beaux-Arts de Paris, diplômé en 1896, il s’installe à Chauny puis à Saint-Quentin en 1910. Il est élu conseiller municipal en décembre 1919, 2e adjoint du maire Romain Tricoteaux, en charge des travaux de reconstruction jusqu’en juillet 1921. Après Le Casino, Adolphe devient l’architecte des salles de spectacle saint-quentinoises, modernisant le cinéma Le Carillon en 1931, puis le Cirque en 1933.
Le Casino ouvre ses portes le 22 juin 1929, accueillant un concert à l’occasion du Concours International de Musique. Une semaine plus tard, le samedi 29 juin 1929 a lieu la première soirée cinématographique, avec la projection du film Madame Récamier de Tony Lekain et Gaston Ravel, accompagné de deux films documentaire et comique et de deux numéros de gymnastes.
Le confort de la salle, ventilée, largement éclairée, dotée d’un bar au rez-de-chaussée et d’un foyer à l’étage, émerveille le public. Ses 1270 places, réparties en parterre et balcon, en font la plus grande salle de la région. Deux ans après son ouverture, en août 1931, Le Casino entre dans une nouvelle ère, celle du cinéma parlant. Il est acquis en novembre 1934 par les frères Clément et Jean Flahaut. Cédé en 1960, le Casino périclite à l’aube des années 1970, reconverti en discothèque fermée administrativement en 1978, puis en magasin de meubles jusqu’en 2006. Acquis en 2012 par la Ville de Saint-Quentin, il fait l’objet en 2019-2020 d’importants travaux en vue de sa reconversion en « Maison de service à la population ».
Un joyau de l’Art déco
Comme de nombreuses salles de cinéma françaises des années 1920-1930, Le Casino est de style Art déco. Sa façade tranche avec le décor de briques des logements populaires du faubourg d’Isle. Le Casino s’affirme comme le temple du loisir, du plaisir.
La façade, percée des classiques baies aux angles brisés chères à l’Art déco, est ornée d’un fronton où s’entremêle un décor de fleurs stylisées, feuilles et rayons lumineux, encadré par deux puissants pilastres coiffés de têtes massives en béton, symbolisant la tragédie et la comédie. Dans la salle, les murs et le cadre de scène sont ornés de décors en staff : alternance de masques de la tragédie et de la comédie, frise de fleurs stylisées, etc. Des peintures réalisées au pochoir, aux couleurs vives, rappellent par leurs allégories à la danse que nous sommes ici dans un lieu dévolu au cinéma, au spectacle, aux arts.