La genèse d’un monument
L’architecte Paul Bigot (1870-1942), Grand Prix de Rome en 1900, en charge du plan d’extension et d’embellissement de la ville de Saint-Quentin, est désigné par le conseil municipal pour mener à bien le projet. Il sera l’auteur des monuments aux morts du Havre (1921), de Caen (1927), et de la victoire de la Marne à Mondement (1930).
Le plan d’extension et d’embellissement, approuvé en décembre 1921, prévoit un réaménagement complet du quartier de la gare, projet dans lequel Paul Bigot envisage la construction d’un portique, venant fermer le parvis de la gare en bordure de l’étang d’Isle. À la fin de l’année 1922, on décide d’associer le portique et le monument, probablement par souci économique mais ce choix est aussi très symbolique.
La réalisation
La construction débute fin 1925, en même temps que celle de la gare de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, incendiée en janvier 1922. Il s’agit d’une structure en béton armé, recouverte de plaques de granite de Kersanton bouchardé. Elle est réalisée par l’entrepreneur chargé du chantier de restauration de la Basilique, E. Meaume.
Le battage de pieux entre 16 et 18 mètres de profondeur est nécessaire pour traverser l’épaisse couche de tourbe de la vallée de la Somme. Malgré cela, le monument, dont le poids est estimé à 900 tonnes, rencontre rapidement des problèmes de stabilité. Il est incliné de plus 20 centimètres en 1933. Une plate-forme en béton armé en avant du monument, constituée de 31 nouveaux pieux, est nécessaire pour le stabiliser.
Pour la partie sculpture, Paul Bigot fait appel à deux sculpteurs qu’il a rencontrés à la Villa Médicis de Rome, Paul Landowski (1875-1961) et Henri Bouchard (1875-1960), qui travaillent régulièrement ensemble, notamment au Mur de la Réformation de Genève durant la guerre. Paul Landowski est l’auteur du monument « Les Fantômes », sur la butte de Chalmont à Oulchy-le-Château (1935), et du célèbre Christ rédempteur de Rio de Janeiro (1931)
En octobre 1925, les deux artistes reçoivent l’esquisse du monument pour lequel il leur est commandé une grande frise centrale évoquant la guerre 1914-1918, deux bas-reliefs latéraux commémorant le siège de Saint-Quentin de 1557 et la résistance de la ville lors de l’invasion prussienne le 8 octobre 1870, avec le gisant d’un poilu en avant du monument.
Henri Bouchard se charge de la partie centrale représentant les Poilus au combat et du bas-relief de 1557, tandis que Paul Landowski réalise le bas-relief de 1870 et les deux extrémités de la frise centrale, représentant à droite, l’exode de la population civile en mars 1918, et à gauche, le retour de la population dans la cité en ruine après l’armistice.
On sait que Paul Landowski était mécontent du granit choisi, et surtout lassé de sculpter des monuments aux morts : « Toujours des frises de soldats, des évacués, des vieux, des vieilles avec leurs pauvres frusques. J’en suis saturé. Faire de cette misère une entreprise industrielle, c’est pénible ». En revanche, il se réjouissait de sculpter le gisant, seul « morceau de vraie sculpture de ce monument » selon lui. Mais il ne fut jamais commandé, faute d’argent. Le monument, achevé au printemps 1927, est inauguré le 31 juillet 1927.
Les noms inscrits
1398 noms sont inscrits sur les arches du monument. Tous ne sont pas des soldats : on compte parmi eux 72 civils : 14 fusillés par l’armée allemande, 10 tués lors de l’invasion d’août 1914, 12 tués lors de bombardements aériens alliés, 34 prisonniers civils morts en détention et un civil tué accidentellement par une sentinelle allemande.
Depuis, se sont ajoutés 440 noms, ceux de la Seconde Guerre mondiale (130 militaires, 94 FFI et déportés, 165 victimes civiles de bombardements alliés), de la Guerre d’Algérie (15) et des Théâtres d’Opérations Extérieures (36).