Une seconde Reconstruction pour Cambrai
Touchée par la guerre à deux reprises, Cambrai doit à la deuxième Reconstruction l’introduction de nouveaux programmes architecturaux. Le régionalisme n’est plus à l’ordre du jour. Il fait place à une conception beaucoup plus moderniste et fonctionnelle de l’architecture, sous l’influence du Conseil d’architecture du Ministère de la Reconstruction et le l’Urbanisme qui compte parmi ses membres Le Corbusier et André Lurçat. Ils s’appuient sur la charte d’Athènes pour les lois d’urbanisme, prônant une «utilisation rationnelle du sol, une répartition fonctionnelle des activités, des villes vertes». De 1945 à 1977, l’aménagement de la ville de Cambrai sert la politique d’un maire socialiste, Raymond Gernez, qui engage un immense chantier pour la construction d’équipements dont le marché couvert.
Un nouvel équipement public
Dès 1941, la ville de Cambrai éprouve le désir de construire un marché couvert. Dans un contexte peu propice aux réalisations, la municipalité ne lance aucun concours. Il faudra attendre 1945 pour que la ville prenne la décision de construire le marché couvert sur la Place au Bois, autrefois lieu du marché aux bestiaux. Néanmoins, la priorité est donnée à la construction de logements décents pour les sinistrés et les travaux ne débutent qu’en 1958 pour une inauguration en février 1961. Raymond Gernez considère alors l’édifice comme une des plus grandes réalisations, «un élément actif de l’expansion indispensable dans une ville en plein essor», faisant de Cambrai une ville moderne.
Une prouesse technique
Érigé par Edmond Lancelle, son fils René et son gendre Pierre Prod’homme, l’édifice s’inscrit dans la continuité de l’Exposition Universelle de 1958 de Bruxelles où de multiples réalisations témoignent du développement de la recherche de structures légères qui libèrent les espaces intérieurs. Raymond Gernez insiste sur le caractère novateur de l’œuvre de René Lancelle, «Cambrai pourra être fier d’avoir adopté un projet qui, pour être d’avant-garde, ne présente pas une architecture outrancière et ne gâche pas pour autant le cadre constitué par les immeubles environnants».
Espace de marché, le bâtiment nécessite la libération de tout point d’appui pour la halle en rez-de-chaussée. Cette organisation spatiale repose sur une structure suspendue par des poteaux en V inclinés de béton armé. Massifs, ils ramènent les charges de toiture jusqu’au sol. Le système de toiture consiste en un système mixte composé d’une voûte concave et d’une autre convexe qui s’équilibrent grâce à leurs géométries contraires. D’une portée de 31,5 mètres, elle est considérée comme «la plus surbaissée d’Europe».
Décors et usages
Le béton est soit bouchardé soit laissé brut de décoffrage. Aucun enduit n’est admis. Initialement, entre chaque pilier massif, un vitrail coloré sur plaque de polyester filtre la lumière, tenu par des châssis en béton. En 1995, les façades sont revêtues de verre réfléchissant par Philippe Chiossone, la qualité médiocre du plastique ayant dégradé les vitraux. En sous-sol, l’édifice abrite une salle de bal et une salle de conférence.
Aujourd’hui, les producteurs locaux prennent place dans le marché couvert deux fois par semaine, et les espaces de bal et conférence sont utilisés par les associations de la ville. Les anciennes carrières d’extraction de craie sont accessibles en visites guidées, et permettent de découvrir les fondations impressionnantes de ce monument emblématique, de 12 à 17 mètres de profondeur.